Dans la peau d’un kiné au French Riviera Open
François CHEVET est l’un de nos intervenants Masseur-kinésithérapeute, praticien libéral et écrivain “sur le Handicap” qui partage avec nous sa participation en tant que kiné à la French Open Riviera.
Voici son récit …
Le French Riviera Open a eu lieu sur le site de la Mouratoglou Academy d’Antibes du 11 au 18 juin 2023. Il a réuni les 70 meilleurs joueurs et joueuses de tennis en fauteuil roulant de la planète pour des compétitions de simple et de double. La surface ? La terre battue bien évidemment. Dans ce complexe impressionnant de plus de 30 cours et hébergés sur place, les athlètes ont su bénéficier de conditions exceptionnelles pour rivaliser au meilleur de leur forme.
Et qui dit forme, dit physiothérapeutes !
Accueillis nous aussi comme des seigneurs, nous étions 2, Marion et moi, pour prendre soin des joueurs et des joueuses tout au long de la journée. Les horaires ? 8h-21h (des moments speed et des moments creux) avec la tenue d’un agenda de rdv géré par mail, et la possibilité d’intervenir sur un court à la demande du juge arbitre si nécessaire, en étant toujours disponible grâce à un talkie-walkie.
J’ai pour ma part, à 57 ans, bourlingué dans un grand nombre d’événements et exercé sous différentes formes le doux métier de kiné. Cela dit, c’est la première fois qu’il m’a été donné la chance de vivre au milieu d’une telle organisation avec une telle liberté. Certes, la Pitié Salpetrière, le centre de Coubert, et bien d’autres structures sont également des mini villes à part entière mais nos fonctions sont parfaitement encadrées. Là, au cœur des sportifs et de la compétition, nous avons eu le total loisir de nous organiser dans des locaux équipés et dédiés à nos soins. Nos tâches ? Recevoir les athlètes en gérant notre planning, avant ou après leur match.
Les pathologies handisports du tennis fauteuil ne m’étaient pas inconnues pour ne pas dire coutumières de mes prises en charge : paraplégies, tétraplégies basses, amputations. Le climat “Kiné du sport” m’était également familier et il me fut aisé de me rendre disponible et d’apporter mon aide et mes soins dans la mesure de mes facultés.
En résumé, j’avoue, tout comme ma collègue Marion, ne pas trop avoir galéré pour les séances individuelles de kiné (30 minutes environ), en mêlant bilans, traitements et suivis tout au long de la semaine. Question matérielle ? L’académie Mouratoglou nous a gratifié de moyens adéquates à la pratique de notre métier : locaux, hygiène, tables électriques, crèmes, taping, bobologies, voir même quelques gadgets technologiques.
Alors vous allez me dire : quelle semaine cool il a passé le vieux kiné ! Sans stress aucun, si ce n’est la bonne adrénaline liée à nos capacités d’adaptation en permanence mises à l’épreuve.
Et bien: détrompez-vous ! Ça n’a pas été de tout repos, surtout au début.
J’ai effectivement travaillé 20 ans dans un centre de polyaccidentés, traîné mes mallettes de soins dans pas mal de gymnases (week-ends et stages en tout genre) mais je dois l’avouer, je suis de la très vieille école, celle qui ne parle que le français.
Et alors là François, accroche-toi mon gars.
Un chilien ça passe, dans un anglais digne des premières découvertes du nouveau monde, un israélien, ça se complique (ils gèrent, eux !) mais alors une anglaise (slowly pleeaaase !) et la plupart des européens : n’en parlons pas (a). Je me suis senti diminué, handicapé pour tout dire (et oui le handicap est situationnel). Je voyais ma collègue Marion (qui travaille à Genève et a été formée en ostéopathie dans une école bilingue) régner sur ses prises de contact, dispenser avec talent de précieux conseils. Elle tapait juste, elle naviguait avec précision sur les infos, les échanges et tout ce petit monde perso du patient qu’il est bon de maîtriser afin de mieux connaître le contexte, et mieux cibler soins et programmes.
Me voilà donc à réviser le soir mes phrases sur mon application de traduction (fort utile au demeurant) et à regretter mon faible niveau de pratique anglaise. Il m’est cependant arrivé d’avoir à traduire pour des publications médicales des articles en langue britannique, mais j’ai eu le temps et l’organisation appropriés à ce travail cérébral et littéraire.
Ici, dans la vraie vie du soignant, vous êtes interpellé dans les travées du tournoi, vous bloquez sur des idées qui ne trouvent plus leurs mots. Vos expressions se réduisent au strict nécessaire, insuffisant pour englober le patient dans son ensemble. Bien évidemment il vous reste le langage des mains, comme une musique, international outil d’info et de traitement. Il se moque des nationalités et demeure notre socle fondateur. Mais un organe est lié une fonction, et une fonction liée à un corps, lui-même lié à un habitus de vie et mes mains ne parlent pas anglais.
Durant la semaine, je me suis senti de plus en plus à l’aise avec cette langue internationale au point, comme m’avait prévenu Marion, de finir par mélanger français et anglais et penser presque à certains moments (si si, je vous assure) dans la langue d’Andy Murray. Le tournoi s’est terminé dimanche par la victoire disputée de l’argentin Gustavo Fernandez et de la néerlandaise Diede de Groot.
Je tire de cette semaine des rencontres de belle qualité avec tous les joueurs et joueuses pris en charge, avec le staff génial de très grande humanité (organisateurs, ramasseurs de balles, corps arbitral , avec Marion, intelligente, sensible et d’une finesse d’analyse et d’expertise rares.
Allez, 5 leçons à retenir :
- un sport individuel n’est pas un sport collectif : privilégier les moments de soins appropriés à un traitement d’écoute personnalisé.
- bossez votre anatomie et vos cours de pathologie sur les différents handicaps possibles en fauteuil et observez bien les spécificités de certains gestes pathogènes. (b)
- n’essayez pas de systématiser vos soins, chaque sportif est différent ( et c’est bien ici la richesse des rencontres).
- soyez modeste et disponible tout en restant guide de vos traitements et de vos conseils
- et enfin, my god, mettez vous à l’anglais et ne lâchez pas l’affaire.
Un grand merci à Mika Jérémiasz, polymedaillé en tennis fauteuil roulant , fondateur de l’association Comme les autres et président du French Riviera Open.
I thank you for your attention.
François Chevet.
- (a) pays les plus représentés = Japon, Pays-Bas, France, Israël, Espagne, Angleterre, Chine, Chili…
- (b) l’extenseur ulnaire du carpe est sollicité de manière intense et spécifique lors du geste de revers si singulier, s’approchant parfois de certains cinétiques de pelote basque.
Pour le CEERRF et en guise de conclusion, ce témoignage met en évidence le besoin essentiel de sensibiliser les étudiants en kinésithérapie à l’importance de la maîtrise de la langue anglaise, ainsi qu’aux subtilités de travailler avec des athlètes en situation de handicap dans le domaine du sport. Le French Riviera Open a offert un cadre unique où des physiothérapeutes comme François CHEVET ont dû relever le défi des barrières linguistiques. Son expérience souligne que la communication efficace et la compréhension sont primordiales pour offrir des soins personnalisés, en transcendant les frontières et les origines.
Dans ce contexte, notre programme pédagogique prend en compte cette demande des étudiants en favorisant les échanges internationaux et l’ouverture à l’international grâce à notre adhésion au programme Erasmus+ et à l’ENPHE, des programmes comme le Virtual Exchange in Physiotherapy et la Semaine International ont été mise en place . Cette démarche vise à abattre les barrières culturelles et linguistiques favorise l’apprentissage et le choix d’une formation en kinésithérapie réflexive et ouverte sur le monde. De plus, il ressort de cette expérience des leçons clés telles que l’adaptation aux diversités des handicaps, la personnalisation des traitements, associées à l’humilité et à l’expertise. Dans l’ensemble, ce récit souligne l’importance indéniable de la langue, de la sensibilisation au handicap et du sport pour former des professionnels de la santé compétents et compatissants.