Focus sur notre formatrice : Nadine STREIT

nadine streit

Le CEERRF met en place une nouvelle actualité par mois, il s’agit d’un focus sur ses formateurs, leur expertise ou l’un de leurs travaux qui sont ici partagés et portés à votre connaissance.

Masseur kinésithérapeute depuis bientôt vingt ans, je me suis rapidement intéressée à la neurologie et aux savoirs des patients et j’ai exercé pendant une dizaine d’années dans différents centres de rééducation.

Ce sera d’abord au sein d’une équipe pluridisciplinaire proposant une prise en charge de la spasticité des enfants souffrant de paralysie cérébrale que nous développerons un projet d’éducation thérapeutique. Constatant une faible observance des soins d’appareillage et d’exercices de kinésithérapie et une faible compréhension de la pathologie de ces enfants et de leurs parents, nous avons développé des cartes thérapeutiques visant l’amélioration de ces connaissances et la facilitation du suivi des programmes de rééducation.

Les savoirs des patients

Des questions plus générales m’ont ensuite entrainée vers un master en sciences de l’éducation. Comment l’information médicale circule-t-elle jusqu’aux patients, que savent-ils sur leur maladie ? À quel type d’information ont-ils accès sur internet et les réseaux sociaux d’auto-communication de masse ? Quelle est la valeur de l’expérience des patients et de l’information qui circule au sein des groupes de patients sur ces réseaux ?

Après plusieurs entretiens et une analyse du contenu des échanges sur ces communautés virtuelles, la conclusion de ce travail sera que les réseaux sociaux d’auto-communication de masse permettent aux malades d’échanger leurs expériences thérapeutiques. Les traitements médicaux, paramédicaux et de médecine complémentaire y sont soumis à la critique et évalués de manière informelle. Derrière ces communautés se cachent de potentiels savoirs qu’il serait intéressant de formaliser.

Les savoirs des patients
handicap neurologique

Handicap neurologique

Ce master m’a ouvert les portes de l’enseignement au sein d’écoles de kinésithérapie où j’enseigne à présent la neurologie. Le cursus scolaire de notre profession évoluant peu à peu vers l’universitarisation, souhaitant perfectionner mes enseignements et toujours avide d’apprendre, je me suis lancée dans un master en biologie médicale option « handicap neurologique ». Ce master m’a permis de démarrer une revue systématique sur l’intérêt de la stimulation électrique dans la prise en charge de la spasticité. Un étudiant du CEERRF et un collègue jouent actuellement le rôle de second reviewver. La spasticité, hyperactivité musculaire involontaire due à une atteinte de la voie pyramidale, est un phénomène contre lequel les techniques de kinésithérapie n’ont peu voire pas d’efficacité. L’électrostimulation pourrait diminuer sensiblement cette hypertonie musculaire et faciliter la mobilité articulaire en stimulant les muscles antagonistes aux muscles spastiques. Espérons que nous obtiendrons des informations pertinentes de ce travail afin de proposer de nouvelles techniques de rééducation plus efficaces.

Ce retour au sein des sciences dures m’obligera à raisonner d’avantage d’un point de vue statistique et niveaux de preuves. Mais derrière ces statistiques et ces niveaux de preuve se cache l’être humain dans toute sa complexité : quelles sont ses motivations à vivre et à se battre lorsque la maladie toque à sa porte ? La joie ? Le bonheur ? Les relations sociales ? Le plaisir et surtout celui dont on parle peu mais qui influence une grande partie de notre vie ? L’accès à ce dernier peut être lourdement compromis lors d’atteintes neurologiques. Bon nombre de malades n’osent pas en parler et beaucoup de professionnels de santé maîtrisent mal le sujet et ne sont pas en mesure de les aider.

Sexualité et handicap neurologique

Un DIU Santé sexuelle et droits humains m’a permis d’explorer ce sujet.

Notre choix du partenaire dépend en partie de structures cognitives innées, inconscientes et non modifiables liées à des instincts primitifs, ainsi qu’à des structures cognitives acquises également inconscientes mais partiellement modifiables, liées à notre éducation, à l’influence de nos groupes d’appartenance et des médias.

Notre société se dit de plus en plus inclusive ; elle devrait donc être porteuse de moins de stéréotypes concernant la sexualité des minorités et être constituée de groupes plus larges et inclusifs. En parallèle, un changement de paradigme concernant la définition et la prise en charge du handicap a vu le jour ces dernières décennies avec la notion de participation ; la société devient responsable des limites rencontrées par ses citoyens en son sein et par définition, la notion de handicap devient contextualisée.

Pourtant, malgré ces modifications structurelles, le terme de handicap, désignant un groupe social, reste le terme générique prédominant au cœur des débats, entretenu par des sentiments contradictoires à la fois d’« horreur » et d’ « angélisme » qu’il nous renvoie. Pour reprendre les mots du professeur Hamonet [1], « ces émotions sont peut-être une expression particulière des archaïsmes sociaux et des peurs ancestrales de l’autre ». Or, rappelons qu’un changement de paradigme nécessite une modification des anciens schémas au sein de l’ensemble de la société vers de nouvelles représentations sociales.

Dans ces travaux, je me suis intéressée aux stéréotypes autour de la sexualité des personnes en situation de handicap moteur et de la manière dont ils sont véhiculés au sein de notre profession afin d’identifier les clichés relayés dans notre société. Ce travail sera poursuivi cette année par une étudiante de 4e année au sein du CEERRF.

Sexualité et handicap neurologique
Plasticité cérébrale

La plasticité cérébrale

Vous ne serez donc pas surpris si je me lance, d’ici quelques semaines, dans un projet de recherche doctoral sur les zones érogènes secondaires des patients blessés médullaires. Pour mieux comprendre ce sujet, je vous invite à visualiser le film « Intouchables », si ce n’est pas déjà fait. Nous sommes plus que certains aujourd’hui que notre cerveau est hautement plastique. Mais cette plasticité a ses limites et reste encore bien peu connue des scientifiques. Le secteur du bien-être et du développement personnel s’est emparé de cette notion. D’ailleurs, les allées des librairies ne regorgent-elle pas d’ouvrages sur ce bien-être, l’intelligence, la performance et j’en passe ? Jusqu’à quel point l’être humain peut-il s’adapter, évoluer et modifier ses perceptions afin d’améliorer ses performances, de se sentir mieux ou de compenser un déficit ?

Douleur et pensée magique

Malheureusement, « the dark side of plasticity » [1], ou côté obscure de la plasticité favoriserait l’apparition et la persistance des douleurs chroniques. Selon l’approche biopsychosociale, paradigme devenu aujourd’hui prédominant au sein de la recherche médicale, la douleur chronique pourrait persister malgré la disparition de son origine nociceptive dans un contexte psychosocial défavorable. L’hypothèse la plus actuelle au sein des neurosciences est que la douleur chronique, reconnue maladie à part entière pourrait avoir comme origine ou entrainer dans un second temps une réorganisation structurelle et fonctionnelle cérébrale [2].

Cette réorganisation cérébrale entrainerait des comportements et émotions négatifs et un ralentissement des autres fonctions cognitives.

Selon de nombreux articles scientifiques et professionnels de santé, il est important de faire prendre conscience au patient de l’origine en partie psychosociale de la douleur chronique. Cette douleur pourrait également cacher une demande explicite du malade, reflet d’une souffrance existentielle plus profonde. Or, il faut rappeler que les origines psychosociales de la douleur chronique restent hypothétiques et que les patients se sentent peu compris, discriminés voir s’auto discriminent face à cette souffrance.

Douleur et pensée magique

Ainsi, à l’heure actuelle, les scientifiques n’ont pas émis de conclusion concernant la souffrance psychosociale liée à la douleur : en est-elle l’origine ou la conséquence ? Alors comment aider le patient qui souffre malgré l’ignorance de la science ? Le risque, face à ce vide physiopathologique et cette incapacité à venir en aide aux patients ne serait-il pas de le combler par des fausses croyances ? Le contexte actuel de crise des hôpitaux et le peu d’unités douleurs existantes est le terreau de ces pensées magiques pour des professionnels de santé surmenés. Que nous apprend l’expérience des patients sur ce sujet ? Ces travaux viennent d’être finalisés pour la validation du DIU recherche qualitative en santé et j’espère pouvoir y inclure un étudiant l’an prochain.

streit neurologie

A travers mes enseignements, j’espère donner goût aux étudiants à la neurologie, domaine médical qui a besoin de kinésithérapeutes et domaine scientifique prometteur en recherche dans notre discipline. Mon maître mot est la réflexivité afin de ne pas sombrer dans des pratiques professionnelles répétitives et peu efficaces.

Certaines personnes disent m’admirer face à cet acharnement à poursuivre des études. Ce qualificatif ne me convient pas ; je dirais plutôt qu’étudier fait partie de ma personnalité.

Mettre en lien avec objectivité des discours, observations, écrits est quelque chose de très difficile. Nous observons, cherchons, questionnons, essayons d’analyser et de comprendre la complexité humaine. Stopper notre réflexion pour se fixer sur un point final ne rendra la vérité que partielle. C’est pour cette raison que la science existe, pour mieux comprendre la vie et ses faiblesses. Je suis ravie de participer à l’édifice de la science même à titre de goutte d’eau dans l’océan. L’humanité serait-elle quelque chose sans le savoir et la science ?

Enfin, mon parcours s’est également dessiné grâce aux étudiants curieux et intéressés qui m’encouragent à toujours chercher plus loin ainsi qu’à l’ambiance bienveillante, joviale et studieuse qui règne au sein du CEERRF.

[1] Hamonet C. (2016). Les personnes en situation de handicap. Presses Universitaires de France, Que sais-je ?
[2] Brown, Arthur, et Lynne C. Weaver. « The Dark Side of Neuroplasticity ». Experimental Neurology 235, no 1 (mai 2012) : 133‑41.
[3] Osinskin T, Pallot A, Rééducation des patients douloureux. Elsevier Masson SAS. [cité 17 août 2022].