Focus sur notre formateur : Céleste ROUSSEAU

Le CEERRF met en place une nouvelle actualité par mois, il s’agit d’un focus sur ses formateurs, leur expertise ou l’un de leurs travaux qui sont ici partagés et portés à votre connaissance.

Kinésithérapeute diplômée en 2016, Céleste Rousseau s’est immédiatement spécialisée dans la prise en charge des pathologies des musiciens (professionnels, étudiants ou amateurs). Cet exercice particulièrement spécifique et son appétence pour la recherche l’ont amenée à poursuivre son cursus universitaire en M1 d’Ergonomie (CNAM Paris) puis en M2 STAPS (Université Paris-Saclay), en parallèle d’un exercice libéral, à la Clinique du Musicien à Paris, notamment.

A la suite d’un stage de recherche en Australie avec le Prof. Bronwen Ackermann, elle entame en septembre 2018 au Royaume-Uni son doctorat intitulé « Prévention des troubles musculo-squelettiques des musiciens d’orchestre » à la Liverpool John Moores University et avec le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, financé par Help Musicians UK. Soutenu en avril 2022, ce doctorat, qui a fait l’objet de deux publications et de nombreuses présentations en congrès à l’international (Etats-Unis, Europe, Royaume-Uni ainsi que virtuellement), est ancré dans une dynamique globale de changement culturel pragmatique au Royal Liverpool Philharmonic, pionnier dans le domaine de la santé et le bien-être des musiciens.

Depuis septembre 2020, Céleste se lance dans un cursus universitaire parallèle en lien direct avec sa pratique : des études de philosophie pour penser le soin et la profession de masseur-kinésithérapeute. Après un mémoire de M2 dirigé par Prof. Barbara Stiegler (Université Bordeaux Montaigne) sur les racines de l’evidence-based practice et sa complexité clinique, l’objet de ses recherches dans le cadre de son second Master en philosophie s’oriente vers l’objectivation de la maladie ainsi que les facteurs sociaux comme angle mort du soin.

Céleste dirige des mémoires dans de nombreux IFMK, enseigne (kinésithérapie des musiciens, méthodes de recherche – approche qualitative particulièrement, éthique de la recherche, normal et pathologique, construction du savoir scientifique en kinésithérapie, etc.), prend en soin ponctuellement quelques musiciens à leur domicile et intervient en orchestre et en conservatoire, au sein du binôme « incorpore » avec Sébastien MARTIN.

La kinésithérapie des musiciens, tout un programme

Bien que cela ne nous saute pas aux yeux au premier abord lorsque nous assistons à un concert, jouer d’un instrument de musique n’est pas complètement sans risque. Depuis Ramazzini, précurseur de la médecine du travail, et ce que l’on considère comme les premiers mots sur les maux des musiciens, la recherche a fait de considérables progrès dans la compréhension de ces derniers.

En 1998, Zaza et al. définissent, par le biais d’entretiens avec des musiciens et des professionnels de santé habitués de cette prise en charge, les troubles musculo-squelettiques comme tout/toute « douleur, faiblesse, perte de contrôle, engourdissement, fourmillement ou tout autre symptôme qui interagirait avec la capacité [du musicien] à jouer au niveau auquel il est habitué ». Ces derniers sont très fréquents chez les musiciens (Silva et al., 2015) et, selon la sévérité de la pathologie, peuvent mettre en danger leur employabilité à plus ou moins court-terme et donc, de fait, leur carrière.

Prendre en charge la santé des musiciens nécessite au préalable l’acquisition de connaissances fondamentales sur la musique en général, bien sûr, mais surtout sur les spécificités des musiciens : l’instrument joué d’abord mais aussi leur statut professionnel, le répertoire qu’ils jouent, leur histoire instrumentale, entre autres facteurs.

Voici comment s’articule ce que vous vous apprêtez à lire :

  1. Décrire les facteurs de risque de développement des pathologies spécifiques aux musiciens
  2. S’interroger sur la posture comme facteur prédisposant ou non à leur survenue
  3. Présenter ma pratique clinique auprès des musiciens

Facteurs de risque de développement des pathologies liés à la performance musicale

Figure 1Les facteurs de risque qui amènent certains musiciens à développer (ou non) des pathologies liées à leur pratique instrumentale sont très nombreux. Dans la littérature, bon nombre d’auteurs se sont intéressés à ces derniers par le biais de revues systématiques sans réussir à lister les plus importants, de par la très grande hétérogénéité des études et leur faible qualité méthodologique (Baadjou et al., 2016).

Dans le cadre de ma thèse, nous avons décidé nous intéresser à ce problème en consultant la littérature sans systématiser le processus, puis de confronter nos trouvailles à l’opinion des musiciens (en l’occurrence, des musiciens du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra) sur leur propre santé ainsi qu’à celles d’experts de la santé du musicien, tant sur le plan de la recherche que sur celui de la clinique.

Le modèle final est constitué de neuf catégories (Rousseau et al., 2021) :

  • Les caractéristiques individuelles : le sexe et le genre, l’âge, le nombre d’années de jeu, la taille, le poids, les prédispositions génétiques, etc. ;
  • La posture, comme le fait de jouer d’un instrument nécessitant une posture asymétrique (le violon ou la guitare, par exemple), de maintenir les bras en élévation (la trompette ou la flûte traversière), le fait de jouer principalement assis, dans une position figée, et cela pendant parfois plusieurs heures ;
  • Les éléments biomécaniques : le contrôle moteur, l’hypermobilité ou au contraire, une certaine raideur articulaire, etc. ;
  • L’absence de prise en soin de ces pathologies, ainsi que de connaissances par les musiciens eux-mêmes au sujet de ces dernières ;
  • La charge de travail : le nombre d’heures de jeu ou une augmentation soudaine les concernant, la répétition des mouvements, les potentielles aides ergonomiques pour la réduire ;
  • L’absence d’activité physique (et de connaissances sur cette dernière) ;
  • Les habitudes de vie telles que la consommation de toxiques (tabac, alcool, drogues), le sommeil, l’alimentation et l’hydratation ;
  • Les facteurs environnementaux : les volumes sonores importants, la luminosité, la température, les assises (chaises, tabouret, hauteur réglable, etc.).
  • Les facteurs psychosociaux: le stress, l’anxiété générale ainsi que l’anxiété de performance (communément dite « trac »), la dépression, le perfectionnisme, etc.

Cf figure 1

La posture chez les musiciens instrumentistes

Figure 2Lorsque l’on s’entretient avec des musiciens ou des professeurs d’instruments, mais également avec bon nombre de professionnels de santé qui se sont spécialisés dans la prise en charge des pathologies des musiciens, on constate que la posture est le facteur de risque qui revient le plus à nos oreilles. Pourtant, et ce depuis maintenant quelques années, on questionne considérablement le rôle de la posture.

Dans le cadre de ma thèse et avec l’aide très précieuse de Louna TAHA, ancienne étudiante du CEERRF (dont j’avais dirigé le mémoire), j’ai décidé de creuser un peu plus ce sujet en me lançant dans une revue systématique de la littérature pour comprendre d’abord comment était investiguée la posture pendant le jeu instrumental et si un lien existait bel et bien entre posture et douleur.

Vingt-sept études ont été incluses dans cette revue (Rousseau et al., 2023), c’est-à-dire près de 530 musiciens, étudiant la posture par différents biais, comme l’analyse 2D et 3D du mouvement, l’évaluation visuelle ou la stabilométrie. (Cf figure 2)

Voici les trois messages clés que nous retenons de cette revue.

  • D’abord, les outils de mesures utilisés sont peu comparables les uns avec les autres (analyse 3D du mouvement et échelles visuelles, par exemple) et difficilement applicables sur le terrain (analyse 3D du mouvement, stabilométrie).
  • Ensuite, seule une étude s’intéresse au lien potentiel entre posture et douleur, mettant en évidence de plus grandes inclinaisons latérales et rotation gauches chez un groupe de violonistes présentant des douleurs au niveau du cou.
  • Enfin, un élément fort important a retenu notre attention : la façon de définir la posture dite « physiologique » (si tant est que celle-ci existe vraiment) et de l’évaluer à l’instrument. Pour définir la posture physiologique, certains auteurs mentionnent la notion de position érigée, d’alignement de la tête, des épaules du dos et du pelvis sur les trois axes du corps ou encore l’ancrage des membres inférieurs et de liberté de mouvements pour les membres supérieurs. Plus étonnant, si certains auteurs se sont intéressés à la façon dont les musiciens bougeaient en jouant de leur instrument (considérant donc la posture instrumentale comme potentiellement mobile) en demandant de coter ces mouvements sur une échelle visuelle analogique, d’autres ont demandé aux examinateurs, malgré l’évaluation posturale sur vidéos, de considérer la posture instrumentale comme une « moyenne », donc comme si celle-ci était systématiquement figée.

Il nous semble que c’est là que réside un certain paradoxe. Alors que nous nous employons de plus en plus à intégrer que « la meilleure posture, c’est la suivante », la recherche chez les musiciens fait difficilement état de ces avancées auprès de la population générale. S’interroger sur la façon dont nous cherchons me semble également fort prometteur pour comprendre davantage la performance instrumentale et ses potentiels effets sur la santé physique et mentale des musiciens.

Pratique clinique auprès des musiciens

Si ma pratique clinique s’est très vite éloignée de l’exercice libéral pour une activité de recherche très soutenue, j’y reviens progressivement depuis quelques mois maintenant.

D’abord, il m’arrive ponctuellement que des musiciens, le plus souvent professionnels, me contactent individuellement pour mieux comprendre leur corps et prévenir les troubles musculo-squelettiques (et pas seulement, comme la dystonie de fonction) qui pourraient survenir du fait de leur pratique instrumentale. Je me rends alors à leur domicile, ce qui facilite grandement la vie des musiciens qui n’ont pas à se déplacer avec leur instrument (ayons une pensée émue pour les contrebassistes et les harpistes, à titre d’exemple) ainsi que mon propre bilan, puisque je constate alors de moi-même leur environnement de travail, me rendant également, quand cela est possible, sur leur lieu de travail plus « officiel », comme l’orchestre ou leur lieu de répétition habituel.

Ensuite, et cela est une avancée professionnelle très récente me concernant, nous avons tout juste créé « incorpore » avec celui qui fut mon directeur de mémoire, Sébastien MARTIN (kinésithérapeute, enseignant et chercheur). Avec « incorpore », nous intervenons auprès des musiciens, notamment en partenariat avec des structures comme Grands Formats (exemple d’atelier) ou l’Association Française des Orchestres. Aussi, nous intégrons à la rentrée 2023 le nouveau Pôle Santé créé au Conservatoire à Rayonnement Régional de la Ville de Paris.

A travers « incorpore », nous espérons former les musiciens à mieux comprendre le fonctionnement de leur corps et de leur geste instrumental (dans tous les sens du terme) en considérant ce dernier de façon biologique, psychologique et sociale, nous basant dès que cela est possible sur les dernières avancées scientifiques en la matière. Nous nous allions aussi prochainement à « Kiné au TOP » pour former les kinésithérapeutes désireux d’en connaître davantage sur les musiciens.

Références :

Baadjou, V. A. E., Roussel, N. A., Verbunt, J. A. M. C. F., Smeets, R. J. E. M., & de Bie, R. A. (2016). Systematic review: risk factors for musculoskeletal disorders in musicians. Occupational Medicine, 66(8), 614-622.

Rousseau, C., Barton, G., Garden, P., & Baltzopoulos, V. (2021). Development of an injury prevention model for playing-related musculoskeletal disorders in orchestra musicians based on predisposing risk factors. International Journal of Industrial Ergonomics, 81, 103026.

Rousseau, C., Taha, L., Barton, G., Garden, P., & Baltzopoulos, V. (2023). Assessing posture while playing in musicians – A systematic review. Applied Ergonomics, 106, 103883.

Silva, A. G., Lã, F. M., & Afreixo, V. (2015). Pain prevalence in instrumental musicians: a systematic review. Med Probl Perform Art, 30(1), 8-19.

Zaza, C., Charles, C., & Muszynski, A. (1998). The meaning of playing-related musculoskeletal disorders to classical musicians. Soc Sci Med, 47(12), 2013-2023.

Pour plus d’informations sur Céleste Rousseau : site internetX (ex-Twitter)LinkedInInstagramThèse.