Focus sur notre formateur : Thierry PERON MAGNAN
Le CEERRF met en place une nouvelle actualité par mois, il s’agit d’un focus sur ses formateurs, leur expertise ou l’un de leurs travaux qui sont ici partagés et portés à votre connaissance.
Thierry PERON MAGNAN est diplômé depuis 1990. Il a exercé en libéral et comme salarié à temps partiel pendant 16 ans (structure hospitalière et principalement à l’APHP). Auparavant il a occupé un poste de moniteur éducateur en « maisons d’enfants » (foyers) en province pendant 1 an, puis un poste d’ergothérapeute en hôpital de jour en psychiatrie en région parisienne pendant 6 ans. Ces premières expériences furent marquantes, leurs influences ont orienté sa pratique kinésithérapique jusqu’à aujourd’hui.
Le corps et le sport
Si je dois décrire les influences qui ont façonné le praticien que je suis devenu, je dois commencer par parler du sport. Très tôt, le judo a occupé mes mercredi et samedi. J’y ai certainement appris le mouvement en « 3 dimensions », la mentalisation des gestes dans la préparation au mouvement, « l’empathie gestuel » pour comprendre l’autre dans les combats, l’acceptation de la loi du meilleur. Mais mon physique ne me destinait pas à une carrière à la Teddy Riner !
Vers 16 ans j’ai découvert l’athlétisme, où mes grandes jambes m’ont été plus utiles. Je me suis fortement investi, compétitions les weekends : 110m haies, 400m haies mais surtout 400 m plat (finaliste championnat de France !). J’ai appris le plaisir de l’effort, le dépassement de mes limites. Pas vraiment le désir de battre les autres, mais les utiliser pour améliorer mes performances, la camaraderie avant tout.
Moniteur éducateur
La plus brève, mais la plus rude, de mes expériences professionnelles. Après mon service militaire j’ai répondu à une annonce pour un poste de moniteur éducateur dans une « maison d’enfants ». Les enfants étaient placés par décision de justice. Ils venaient de la région parisienne, nous étions en province. Ils avaient entre 7 et 18 ans, décrits comme caractériels pour la plupart. Instables, immotivés, agressifs. Bref j’étais assez désemparé.
Grâce à cette première expérience j’ai obtenu un poste d’ergothérapeute dans un hôpital de jour en psychiatrie, en région parisienne.
Découverte de la psychiatrie
Comme ergothérapeute je devais organiser le travail de patients psychotiques dans un atelier de façonnage de papier avec des professionnels. Interface entre le monde du travail et celui du soin : « rééducation par le travail ».
J’ai pris conscience que « l’en-soi » n’allait pas de soi, que la perception d’autrui pouvait avoir un écart considérable avec la mienne. Que la subjectivité du vécu de ces patients pouvait être très éloignée de ma réalité, que la communication devait passer par d’autres canaux que la raison avant d’y revenir, quand c’était encore possible.
Ma tâche est technique mais je dois utiliser des ressources auxquelles je ne suis pas préparé. J’apprends « sur le tas » la relation thérapeutique, la meilleure formation me dit-on. Pour éprouvantes que furent ces années, j’en garde un excellent souvenir. Il a fallu tout apprendre. La psychopathologie, les traitements médicaux, les techniques psychothérapiques, les relations avec l’univers de la papèterie, les soignants « psy ». Je suis une formation Handisport et j’obtiens un diplôme d’éducateur sportif pour handicapés. J’ai pu initier un groupe piscine avec quelques patients. J’ai rencontré l’univers de la psychose et ses ravages, mais également mes propres « failles » que je découvrais ici. Les liens étonnamment forts que l’on pouvait tisser avec des personnes si marginales parfois. J’ai donc dû beaucoup m’interroger et trouver les ressources pour continuer. Je me suis intéressé à la psychanalyse avec le Dr R. Gentis en participant pendant 3 ans aux séances de psychothérapies corporelles à « L’autre Scène » : Société pour l’étude des pratiques de l’inconscient (jeux de corps et de langage, relaxation, packing). J’ai également suivi la formation à la relaxation type Schultz au laboratoire de psychologie de l’hôpital Sainte Anne (Paris) avec le Dr J. Berges pendant une année. Après 6 années j’éprouvais le désir d’une formation diplômante. Avec l’aide de mon établissement je m’inscris en prépa kiné pour passer le concours un an plus tard.
C’est là que l’athlétisme m’a servi, j’ai dû investir les études comme je l’avais fait avec le sport, « intensément !».
Kinésithérapeute
J’étais attiré par les pathologies chroniques qui posent la question « comment mieux vivre avec » et non « quand vais-je guérir ». La question n’était pas facile pour le jeune diplômé, je participe alors à un groupe Balint animé par S. Deleuil, kinésithérapeute psychanalyste pendant un an. Mes rencontres m’ont amené à m’intéresser à la neurologie et en particulier aux pathologies extrapyramidales, maladie de Parkinson, syndromes parkinsoniens, et plus généralement ce que l’on nomme les « mouvements anormaux ».
J’ai repris des études pour passer un M2 en sciences de l’éducation. J’y ai appris les modèles et théories de l’apprentissage. J’aurai bien poursuivi cette voie et des études de psychologie, mais les circonstances ne l’ont pas permis. Cette expérience m’a donné le goût de la formalisation de l’expérience et des concepts, j’ai depuis pu écrire une vingtaine d’articles dans mes domaines de compétences. En 2006 j’ai intégré le Centre National de Référence de la maladie de Wilson à l’Hôpital Lariboisière à Paris (Dr F. Woimant) où j’ai découvert tout le spectre des mouvements anormaux, avec une équipe multidisciplinaire. Le centre recevait les patients de toute la France pour le diagnostic, la mise en place du traitement, le suivi. Comme kiné je devais évaluer, formaliser un BDK, rester en relation avec les patients, les familles et les équipes soignantes qui poursuivaient le suivi. Participer à des congrès, publier des articles, informer sur la maladie et les traitements, la kinésithérapie en ce qui me concernait. Je découvrais les neurosciences et participais à des projets de recherches cliniques, dont un PHRIP comme promoteur, sur une échelle d’évaluation des troubles de l’écriture.
J’ai ensuite rejoint un collègue neurologue (Dr JM Trocello) de l’équipe qui créait une consultation multidisciplinaire (neurologue, ergothérapeute, kinésithérapeute) pour les mouvements anormaux à l’hôpital Foch (Suresnes). L’aventure, riche d’enseignements interprofessionnels, de formation auprès des internes et neurologues qui venaient approfondir leur connaissance des mouvements anormaux. Beaucoup d’échanges, et de camaraderie pendant ces 2 années avant que la consultation soit dissoute.
Enseignement
J’enseigne au CEERRF depuis 8 ans, la physio et physiopathologie des ganglions de la base, la sémiologie extrapyramidale, le raisonnement clinique, la relation thérapeutique, la rééducation de la maladie de Parkinson et des mouvements anormaux. La pédagogie appliquée est inspirée du paradigme naturaliste cartésien (EBP), c’est à dire vise le décentrement du sujet dans un apprentissage sectorisé et hiérarchisé des savoirs (physiologie et sémiologie par exemple). Je l’articule également avec le paradigme de la cognition incarnée, de « l’énaction » (Varela) où de l’expérience du « phénomène vécu » (Kant, Husserl). La sémiologie telle qu’elle apparait à l’étudiant novice ou au patient est instantanément rapprochée de leurs expériences antérieures. Il faut donc ajuster la perception de l’apprenant au concept (objectivité/raisonnement clinique) ». Il y a dans toute rencontre (de soins ou d’apprentissage) une interrelation et donc une intersubjectivité à laquelle ni le patient, ni le kinésithérapeute ni l’enseignant n’échappe. La subjectivité, de l’étudiant comme celle du patient, est considérée, objet de l’étude ou du soin (analyse réflexive du vécu) avant de devenir savoir et thérapeutique. Il y a une tension entre la recherche objective et subjective du sujet en soin ou dans l’appropriation des savoirs. Cette démarche est inductive et déductive dans la complexité (E.Maurin), modélisée aussi par des scientifiques, neurobiologiste et neurophysiologiste (F.Varela, A. Berthoz). « L’homme », malade ou/et apprenant, a besoin d’un savoir objectivé mais aussi d’échanges intersubjectifs avec autrui pour s’approprier celui-ci en confiance. La relation thérapeutique rejoint la relation pédagogique, cette dynamique d’échanges est emprunte de joies et de surprises.
Un mouvement de conscience pour apprendre entre subjectif et objectif
Dans un paradigme matérialiste idéal et abouti, nous aurions une cause à chaque action (modèle causaliste), malheureusement pour certains, heureusement pour d’autres (sciences humaines), « la science » n’en est pas capable aujourd’hui. Le rééducateur de terrain, qui travaille sur l’humain, comme le patient sur sa maladie, n’ont accès qu’à une partie réduite de « soi-même » et du « monde sensible » versus « monde des idées » (la raison). Cet univers ou encore « la chose en soi » (Kant l’en-soi), est ce qui reste après que le phénomène est devenu objet, c’est à dire littéralement objectivé. Néanmoins cet objet de connaissance, n’épuise pas pour autant la chose en soi, en l’occurrence ici, le patient, sa pathologie, ses croyances, sa personnalité. Le phénomène, objectivé, mesurable (sémiologie, techniques rééducatives) est travaillé par le kinésithérapeute de manière contingente (espace/temps du soin) avec le patient. « L’en-soi » (Le sujet avec ses croyances) nous échappe en partie dans sa subjectivité de l’expérience de la maladie et du soin. Néanmoins il nous importe, dans un souci d’efficacité, par l’adhésion du patient au projet rééducatif (alliance thérapeutique) de nous en rapprocher. Non par dogmatisme, mais par pragmatisme, pour que les croyances du patient ne soient pas obstacles aux soins, mais forces facilitatrices, comme en judo le geste intentionnel de l’adversaire est détourné en notre faveur. Pour Spinoza tout est « rapport », non pas avec la valence morale « bien/mal », mais plus prosaïque bon/mauvais, ce qui laisse la liberté de choix au patient (motivation). La cognition sociale du soignant, par l’empathie entre autres, permet cette lecture adaptative à l’autre, comme la cognition des fonctions exécutives permet d’acquérir les savoirs objectifs.
L’enseignement comme le soin vise l’émergence du phénomène vers la conscience, dans la limite consentie que « le tout n’est pas la somme des parties ». Pour Husserl c’est justement la subjectivité des phénomènes étudiés (phénoménologie) qui permettrait la véritable objectivation du réel (le patient, la maladie). Les éléments fractionnés étudiés par les « sciences dures », par nécessité méthodologique, ne suffisent pas à répondre au vécu d’un patient en demande. Elles doivent être complétées par ce qui n’est pas objectivable.
Le subjectif et l’objectif sont les deux bras du mouvement de la conscience du kinésithérapeute au travail auprès du malade et de l’enseignant auprès de l’étudiant.
En 2021 Grâce au CEERRF j’ai pu suivre la formation en thérapie interpersonnelle (TIP via l’IFTIP) qui vient de se terminer par la soutenance du mémoire. Cette méthode thérapeutique est la seule avec la TCC à être reconnue par l’OMS et la HAS comme efficace sur les épisodes dépressifs caractérisés. On sait que les patients atteints d’une maladie de Parkinson, traverseront (environ 50% des cas) un épisode dépressif. Cette thérapie pragmatique repose sur la théorie de l’attachement et sur la cognition sociale, dans un modèle biopsychosocial. Ma double compétence de rééducateur « spécialisé » et de praticien en TIP renforce mon efficacité dans la prise en charge de ces patients.
Je suis donc enseignant et praticien en kinésithérapie, en thérapie psychocorporelle et interpersonnelle. Dans un mouvement de spirale je tisse mes activités entre les matières subjectives, espace de créativité et de liberté, et les matières objectives sécurisantes par leur rigueur et limites.