Focus sur notre formatrice : Alice VINCENT

Alice VINCENT

Le CEERRF met en place une nouvelle actualité par mois, il s’agit d’un focus sur ses formateurs, leur expertise ou l’un de leurs travaux qui sont ici partagés et portés à votre connaissance.

Alice Vincent est masseur-kinésithérapeute, elle a obtenu les Diplômes Inter-Universitaires d’interprétation des essais thérapeutiques et du centre d’enseignement de la statistique à la santé publique, à la médecine et à la biologie. Elle s’est ensuite dirigée vers des études en santé publique, où elle a obtenu le Master 2 méthodologie et statistiques en recherche biomédicale de la Graduate School de Santé Publique de Paris-Saclay.

Aujourd’hui, elle est praticienne libérale, intervient en formation initiale dans plusieurs IFMK franciliens, et est membre du collège scientifique du Comité de Protection des Personnes XI de l’Île-de-France.

Les statistiques à l’épreuve de la kinésithérapie

L’heure de la kinésithérapie est à la recherche. Tous ses acteurs s’accordent à le dire. La littérature scientifique semble faire foi, les données portent parfois le qualificatif de « preuves », à la fois tangibles, réelles, presque indiscutables. Mais qu’est-ce que l’on prouve ? Et même, est-ce que l’on prouve ?

Force est de constater que la plupart du temps, on se trompe. On se trompe tous les jours, même en pensant bien faire et en voulant faire mieux. Alors, la littérature scientifique a la lourde tâche d’apporter des réponses, de nous éclairer dans nos zones d’ombres, d’orienter nos pratiques en tant que professionnels de santé. Mais n’a-t-elle jamais accepté de porter cette responsabilité, et même, en a-t-elle les compétences ?

Lorsque j’ai obtenu mon diplôme de kinésithérapeute, j’ai décidé de poursuivre ma formation par plusieurs Diplômes Universitaires et un Master 2, dont tous avaient pour point commun la méthodologie et les statistiques appliquées aux données de santé. D’abord en revenant aux bases : aux lois de probabilités qui définissent le monde des statistiques, aux méthodes inhérentes à l’épidémiologie et à la recherche clinique en apprenant à calculer sans l’aide de la machine. Puis, en complexifiant le tableau : en intégrant aux analyses des modèles issus des Data Sciences pour les données massives de santé, en découvrant d’autres modèles plus adaptés aux variables et aux questions étudiées, en apprenant à écrire les lignes de code qui permettent ensuite à l’ordinateur de calculer tout seul… Je suis arrivée dans ces formations avec un tas de questions, d’incompréhensions et de zones d’ombres. J’en suis ressortie avec un nombre encore plus grand de réponses, mais surtout, avec une appréciation plus modeste de cet univers méthodologique et statistique, que je souhaite vous partager ici.

Les statistiques à l’épreuve de la kinésithérapie
Les statistiques à épreuve de la kinésithérapie 1

Accepter l’imperfection

Dans l’interprétation des données scientifiques, on oublie souvent l’humilité. Lorsque l’on interprète une p value, et que l’on conclue que l’on « prouve l’efficacité de (…) », on oublie que l’on a pourtant admis un certain risque de conclure à tort à une différence (risque alpha).

Lorsqu’on lit un coefficient de corrélation, on s’accorde à dire que s’il est inférieur à 0,2 il est très faible, puis inférieur à 0,4 il est faible, etc. Mais ce sens que l’on veut bien lui donner n’a pourtant aucun fondement scientifique particulier, c’est une interprétation consensuelle.

La plupart du temps, quand on interprète une étude scientifique, on se heurte à des problèmes : pas assez de patients, échantillons non représentatifs, pas assez significatif, récolte des données mal documentée, population perdue de vue… Ces problèmes, qui n’en sont pas tant, perturbent notre volonté d’obtenir une réponse claire, nette et sans bavure. Et oui, on peut penser que si ce qu’on lit est scientifique, c’est probablement très rigoureux, et les résultats obtenus doivent l’être aussi.

En fait, les statistiques sont loin d’être rigoureuses. Et pour essayer qu’elles le soient, on a tendance à vouloir se rassurer en se disant que ce que l’on fait est sous contrôle. Que ce soit pour celui qui lit, ou celui qui écrit. « J’ai le droit de tester mes données avec un test de Student car j’ai vérifié qu’elles étaient distribuées selon une loi Normale. » Lorsque l’on réalise un test de normalité, tel que celui de Shapiro-Wilk, on pose les hypothèses suivantes. H0 : la distribution des données est normale, et H1 : la distribution des données n’est pas normale. Si on conclue que les données sont normalement distribuées, afin de faire un test de Student, alors on admet H0. Or, sous H0, on consent à un risque bêta que l’on ne connaît pas, ce qui est simplement… illogique. On ne peut pas aboutir à une conclusion sans connaître le risque que l’on encourt de raconter des bêtises. Ce raisonnement ne tient pas debout ! Donc, quand on essaie de se rassurer, on finit par faire n’importe quoi et par employer des méthodes qui n’ont pas été créées pour cela, pourvu que cela puisse sembler rigoureux et solide !

Accepter la simplicité

Utiliser les données issues de la littérature scientifique pour mieux prendre en charge nos patients : tous les praticiens sont d’accord pour le faire. Oui, mais comment ? La plupart du temps, on se heurte à une vague de termes inconnus, à des modèles compliqués où tous ces calculs nous embrouillent l’esprit, et au final, on n’y comprend plus rien. Difficile, donc, de se plier à un exercice que l’on ne sait pas faire.

Même les statistiques descriptives les plus basiques nous posent parfois problème. Qui se souvient de la définition de l’écart-type ? Pas grand monde. En revanche, ce dont on peut se souvenir, c’est qu’on sait qu’à l’intérieur de l’écart-type, on retrouve approximativement deux tiers des valeurs observées dans notre échantillon. C’est peut-être imprécis, mais c’est plus facile à retenir.

On pense à tort que plus un modèle statistique est sophistiqué et plus il est rigoureux, alors qu’en fait… il est juste plus compliqué. D’ailleurs, d’une certaine manière, ces modèles complexes enfument le lecteur, puisque la plupart du temps, personne ne comprend rien de ce qui a été mesuré et calculé. On finit par admettre ce que l’auteur nous raconte, puisque de toute façon, on n’a pas vraiment compris comment il a conduit ses calculs.

Les statistiques à épreuve de la kinésithérapie
Les statistiques à épreuve de la kinésithérapie

Ce qui compte, peut-être que ce n’est pas tant le modèle statistique que l’on emploie, mais plutôt le sens des variables que l’on met dans un modèle. L’ordinateur, lui, calculera tout ce qu’on lui demande, même si ce que l’on exige de lui n’a pas de sens concret. Connaître suffisamment le domaine d’étude, savoir pourquoi on étudie certains facteurs dans un contexte, plutôt que d’autres, c’est là, la pertinence d’un bon modèle.

Pourquoi les essais cliniques sont-ils si populaires ? Peut-être parce que leur design est simple. Et si c’est simple, alors c’est également compréhensible. Quand on apporte de la clarté, on convainc également un plus grand nombre de lecteurs, sans tricher.

Prôner la simplicité, ce n’est pas accepter ses lacunes en terme de connaissances, c’est aspirer à ce que l’accessibilité à l’information soit la même pour tous.

La littérature à l’œuvre dans nos pratiques

Celui qui osera dire aujourd’hui, que la littérature n’a pas réponse à tout, s’attire les foudres de ses défenseurs. Or, est-on bien sûr que l’on est toujours capable de bien mesurer, pour bien décrire, et enfin, pour bien expliquer ?

Le ressenti du praticien : « je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais je sens que ce patient a besoin de plus de temps pour entendre l’option thérapeutique que je propose. Je ferais mieux de lui laisser le temps et de lui proposer à nouveau d’ici quelques temps ». Peut-on correctement mesurer cette donnée ?

La connaissance du terrain dans un contexte précis : « Cette maman impliquée auprès des soins de son enfant me demande une interruption des soins pour un mois, le temps de souffler et de se reposer. Je sais qu’elle est suffisamment impliquée pour continuer l’auto-rééducation avec son enfant pendant ce temps, alors j’accepte ». Comment pourrait-on théoriser cette observation ?

  • Variable 1 = implication du parent
  • Variable 2 = gravité de la maladie de l’enfant
  • Variable 3 = fatigue des aidants
  • Y = Réussite ou échec du traitement
  • Y = V1 + V2 + V3

On voit bien que le contexte, simplifié par ces 4 variables, est en réalité bien plus complexe que cela. Ce sont autant de paramètres que l’on a du mal à mesurer, et donc du mal à prendre en compte dans l’équation.

Les statistiques à épreuve de la kinésithérapie

De la même manière, on trouve de plus en plus d’études qui s’intéressent à la qualité de vie des patients, et on devrait s’en réjouir. En revanche,  s’est-on demandé de quelle manière mesure-t-on cette donnée ? Et même, qu’est-ce que la qualité de vie ? Peut-on la décrire de la même manière d’un individu à l’autre ? Avec quel tact pose-t-on certaines questions aux patients ? De quelle manière investigue-t-on certains domaines pour obtenir les réponses souhaitées, et pas les réponses socialement correctes ? Qu’est-ce qui compte ? Ce qu’on mesure, ou comment on le mesure ?

On a oublié la signification du mot science. Selon Charles Nodier, « La science consiste à oublier ce qu’on croit savoir, et la sagesse à ne pas s’en soucier ». La science est un processus au cours duquel elle ajoute une à une les pièces du puzzle, se trompe souvent, et accepte toujours de se corriger.

Il n’y a pas de sacro-sainte étude qui nous permettra de devenir meilleurs praticiens, il n’y a que des pièces de puzzle qui, une à une, nous permettent de mieux appréhender les problématiques que nous rencontrons tous les jours, et de nous améliorer à un instant donné.

Dans sa quête de temps, le praticien qui veut bien faire, et à qui on a indiqué qu’il ferait mieux de consacrer ses lectures sur les études de fort niveau de preuve, se fourvoie sans le savoir. Fort niveau de preuve selon quel critère ? Et le reste, on le met à la poubelle ? Bien sûr que non ! L’objectif ici n’est de jeter la pierre à personne, mais de questionner nos raisonnements. Au final, pour le praticien à qui l’on a répété que la science était le monde de demain de la kinésithérapie, fonder sa pratique sur des études de fort niveau de preuve lui permet peut-être, déjà… de mieux dormir sur ses deux oreilles.

[1] Falissard B. Comprendre et utiliser les statistiques dans les sciences de la vie. 3e édition. Elsevier Masson; 2019. 384 p.
[2] Bouyer J. Epidémiologie. Principes et méthodes quantitatives. Lavoisier;
[3] Institute of Medicine of the national academics. Finding what works in health care : Standards for systematic reviews.